Flormed Apécien
Nombre de messages : 11891 Age : 77 Date d'inscription : 28/10/2008
| Sujet: Loin de mes terres (Couronne 4) Lun 22 Aoû 2011 - 17:57 | |
| Cette couronne est composée à partir d'un sonnet de François Maynard (1582-1646), pris comme sonnet maître.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Déserts
Déserts où j'ai vécu dans un calme si doux, Pins qui d'un si beau vert couvrez mon ermitage, La cour depuis un an me sépare de vous, Mais elle ne saurait m'arrêter davantage.
La vertu la plus nette y fait des ennemis ; Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance ; Je suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis Dans ma tête chenue une vaine espérance.
Ridicule abusé, je cherche du soutien Au pays de la fraude, où l'on ne trouve rien Que des pièges dorés et des malheurs célèbres.
Je me veux dérober aux injures du sort ; Et sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres, Donner toute mon âme aux pensers de la mort.François MAYNARD [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]1 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Appas hors pairDéserts où j'ai vécu dans un calme si doux, Vous êtes en mon cœur telle de la sculpture Sur marbre que ne peut effacer le courroux Du chergui ni l'aigreur de la blanche froidure.
Vous êtes vigoureux et le temps ne peut rien Contre l'immensité de vos dunes vermeilles Où chante le zéphyr l'hymne que tout terrien Entend le soir dans l'oasis aux cent merveilles.
Terre de mes aëux ; loin de toi, je suis mort. L'exil est un caveau.Que maudit soit le sort Qui m'a jeté hors de mes lieux au frais ombrage.
O mon bled, j'ai mon lot ici mais tes appas Ne peuvent s'égaler ; oh, ne m'en voulez pas, Pins qui d'un si beau vert couvrez mon ermitage.2 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]MutationPins qui d'un si beau vert couvrez mon ermitage, Je vous ai, de mes mains, plantés, en souvenir De vos pareils qui me servaient de frais bocage Où, jadis, je courais à n'en guère finir.
Mais vous n'avez jamais pris, dans l'âme, la place Que vos frères d'hier occupent à ce jour. Ce sont eux qui m'ont vu pousser, diable vivace Ne craignant rien, courant dans les bois alentour.
Vous avez fait ma joie et je dois reconnaître Votre bonté qui n'a cessé de me remettre Le cœur d'aplomb dès qu'il se sent sous les verrous.
Prisonnier en ce lieu peuplé de gens sordides, Je n'ai que mon logis ; mais, oh les vils perfides ; La cour depuis un an me sépare de vous.3 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Torrents de versLa cour depuis un an me sépare de vous, Arbustes de mon clos que j'ai dû, de mes larmes Arroser, pour lesquels j'ai dépensé mes sous, Et que j'aimais, sincèrement, pour leurs charmes.
Le devoir avant tout, dit-on ! Pauvre employé ! Un baratin suffit pour t'envoyer en terre Inconnue où, c'est sûr, tu dois finir noyé Dans les ennuis, crevant tel un autour aptère.
On m'a donc éloigné de vous, mes chers amis, Mes pins tant adorés, vous qui m'avez permis De fredonner mes vers à votre doux ombrage.
Leur borgne loi m'a mis, souvent, boulets et fers Pour endiguer le cours de mes torrents de vers, Mais elle ne saurait m'arrêter davantage.4 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le bel or du silenceMais elle ne saurait m'arrêter davantage Leur loi, car j'ai nié le joug de leurs statuts Figés dictant que c'est l'ancien qui déménage Pour s'en aller former les futurs substituts.
Et va pour une vie autre que la normale A laquelle on a dû s'habituer des ans Durant ! A force d'être en autocar, ma malle En a souffert ; la pauvre, elle perdit ses flancs !
Durs étaient les labours, mais tellement ingrate Fut la moisson que la sueur était si mate Et ses flots arrosaient vainement les semis.
Dans ce pays où meurt de froid la conscience, Mieux vaut, dit-on, cueillir le bel or du silence. La vertu la plus nette y fait des ennemis. 5 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]On vend tout pour des mursLa vertu la plus nette y fait des ennemis ; Dans ce coin surpeuplé d'humains voulant fortune A tout prix, vivotant le front toujours soumis Au claquement du fouet, sans prud'homie aucune.
On brocante l'honneur, on vend la dignité On bazarde le sang pour la fausse phanie D'un titre fugitif, on troque la fierté Contre un mot sans éclats, essuyant l'avanie.
La honte de mille ans colle à la peau des gueux Ayant voulu jouer aux arrivants fougueux Que l'on voit à genoux pour mater l'indigence.
Ils ont bâti villas, chalets, vastes maisons ; Mais voyez ce pays où flambent les saisons, Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance.6 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]J'ai jeté la soie.Les palais y sont pleins d'orgueil et d'ignorance ; Dans ce patelin où d'anciens serfs enrichis Aux dépens des valeurs ont bâti, pour l'aisance, Leurs palaces marbrés , cernés de murs blanchis.
Fis de vassaux n'ayant jamais connu d'école Que l'on voit, de nos jours, en tête des cossus, Burnous noir et turban en guise d'auréole, Comme s'ils n'avaient guère été des gueux ossus.
Quand je les vois marcher, tels paons faisant la roue, Je revois leurs genoux enfoncés dans la boue Des sillons peu féconds, et leurs yeux endormis.
Etre aveugle vaut mieux que de voir la racaille Se carrer. Ai-je tort d'avoir jeté la faille ? Je suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis...7 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Blanchi dans la fiertéJe suis las d'y souffrir, et honteux d'avoir mis La bure en grosse laine ocrée et la coiffure Des montagnards pour demeurer front insoumis Et regard indompté ; mon âme restant pure.
J'ai préféré la bourse à sec au porte-feuile Sans dignité ; voilà pourquoi je suis miteux Pauvre comme Job mais jamais je ne m'endeuille Et guère je ne m'en plains car j'ai l'esprit juteux.
Pour mon cœur de rimeur, les mots sont un trésor Plus fabuleux qu'un mont de pied en faîte en or. Au diable tout écu qui salit mon essence !
Aux enfers, les ventrus, je vous maudis, pourris ! Si j'ai blanchi pour rien, sachez que je nourris Dans ma tête chenue une vaine espérance.8 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Au secours, maître !Dans ma tête chenue une vaine espérance Continue à gronder afin de réclamer A ma vieillesse un dû qu'avait promis l'enfance Mais que mes os lassés ne peuvent assumer.
-«Trop tard !» dit une voix de la voûte lointaine Du ciel où je perçois le timbre du faquir Qui fut mon maître qui, pour m'arracher à la peine, Me fit, de l'ascétisme, avaler l'élixir.
Non, mon guide ne peut dévier ma pensée Mon âme, il le sait bien, en serait offensée. D'où vient alors ce cri de fou qui ne vaut rien ?
Ce cri devient vexant ; j'appelle mon stylite Car j'ai besoin d'ouïr sa parole bénite Ridicule, abusé, je cherche du soutien.9 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Conseil à prix d'orRidicule, abusé, je cherche du soutien Auprès de celui qui traça pour moi la sente Conduisant vers le ciel des vers ; homme de bien Qui dut m'initier à la rime attirante.
-« Lève les yeux, dit-il ; pour chasser le démon Qui te veut hors chemin. Arme-toi de ta plume, Arrange bien tes mots comme dans un sermon Afin que, de leur feu, tout noble cœur s'allume ! »
Cher maître respecté, je suivrai ton conseil ; Mais comment arracher une place au soleil Parmi ces gens tarés, à l'ignorance crasse ?
Tu disais que mieux vaut l'honneur d'un galérien Qu'un laurier sur front noir ; mais l'éclat se pourchasse Au pays de la fraude où l'on ne trouve rien.10 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aberrante èreAu pays de la fraude où l'on ne trouve rien Dont on peut être épris, la vie a le goût fade Si fade que le temps paraît toujours de chien : Ciel pleureur sous lequel foisonne la brimade
Et sol vaseux où ne fleurit que le buisson De la haine dardant vers les cœurs ses épines Vénéneuses. Où fuir ? Le vilain hérisson Guette à chaque détour, en crachant ses toxines.
Les sentiers, couverts d'os, sont tels des serpents S'étalant au soleil leurs centaines d'arpents Balayés par des vents aux puanteurs funèbres.
Qui sait ouvrir les yeux en ce désert endroit Revenu d'une époque anomale ne voit Que des pièges dorés et des malheurs célèbres.11 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dessus-dessousQue des pièges dorés et des malheurs célèbres Je n'ai connu durant mon nauséabond séjour ! Oui, j'ai vu des pur-sang traités en sales zèbres Et des onagres pris pour des chevaux de cour.
Monde à l'envers où le corbeau se met en cage Pendant que le serin, à la fronde, est tiré. O folie, est-ce toi qui mets à l'attelage La gazelle élégante au pelage ciré ?
Bizarre ! La raison est sœur de la démence En ces lieux renversés où sévit l'indécence ; Où le crime a son podium et son record.
J'ai beau crier haro sur toute main salie Par le sang innocent ; ma langue est démolie. Je me veux dérober aux injures du sort.12 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Pseudo-humainsJe me veux dérober aux injures du sort En devenant muet face à la perfidie Des voisins envieux me souhaitant la mort Car haïssant extrêmement ma prosodie.
Mes vers - ô vérité, comme est amer ton goût ! - Sont des canons braqués sur leurs viles poitrines D'infâmes rejetons, de sales rats d'égout Répandant à tout vent leurs phrases assassines.
Que n'ai-je pas vécu parmi ces rebutants Phénomènes humains aux mots compromettants A détraquer les nerfs, à briser les vertèbres.
Comme je vous maudis, leur dis-je souventefois ; Je vous laisse croupir sous vos factices fois Et sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres.13 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Aux bûchersEt sous l'aimable horreur de vos belles ténèbres Vous persistez à voir vos fronts ceints de lauriers. Mon habile esprit peut comprendre mille algèbres Mais guère ne saisit vos calculs orduriers.
La gloire est un éclat né d'un exploit utile A l'autre. Vous n'avez, au fond de votre nuit, Accompli que méfaits ; votre vie est futile, Elle empeste le mal et tout acte qui nuit.
Pourrais-je un jour savoir dans quelle sale glaise Fut modelé votre cerveau dont l'aphérèse Même ne peut bloquer le méprisable effort.
Aux bûchers, aux enfers vous et vos manigances ! Je préfère être bon et, faute d'abondances, Donner toute mon âme aux pensers de la mort.14 [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Prière de nuitDonner toute mon âme aux pensers de la mort Et mettre en vers ma vie et ses libres méandres, Telle est ma mission et tel est le ressort De mon esprit logé par les chants des calandres.
Ces oiseaux du terroir que j'ai dû délaisser, Leurs gais cris matinaux hantent encor mes rêves ; Je les ois turluter dans le ciel puis danser Au sol quand je les vois sautiller sur les grèves.
Les reverrais-je un jour avant d'aller dormir Sous terre, dans mon bled qui prendra son émir Dans ses bras chaleureux pour la paix éternelle ?
Me voilà, nuit durant, à prier, à genoux, Afin que, dans mes regs, s'éteigne ma prunelle ; Déserts où j'ai vécu dans un calme si doux.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Dernière édition par Flormed le Lun 13 Fév 2012 - 17:00, édité 3 fois | |
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stellamaris Apécien
Nombre de messages : 19108 Age : 62 Date d'inscription : 22/10/2008
| Sujet: Re: Loin de mes terres (Couronne 4) Lun 22 Aoû 2011 - 19:15 | |
| Merci pour cette oeuvre superbe, très cher ami ! Toute mon amitié. | |
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Flormed Apécien
Nombre de messages : 11891 Age : 77 Date d'inscription : 28/10/2008
| Sujet: Re: Loin de mes terres (Couronne 4) Mer 24 Aoû 2011 - 0:18 | |
| Merci infiniment très cher ami.
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