En guise de variante, j'ai mis le sonnet maître au début de la couronne au lieu de le mettre à la fin
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Sonnet maître – La légende
Gradlon le grand de Cornouaille
Aimant sa fille à la folie,
L’Amour excessif, toujours lie ;
Quel sort funeste ! Et l’on crie « Aïe,
Quel malheur ! » Chaque cœur tressaille :
« Dieux ! Quelle cruelle ordalie !
Ys, sous les flots, ensevelie ;
Voilà, son peuple est à la baille ! »
« Châtiment ! », prêche le recteur ;
« Un exemple pour le pécheur ;
Qu’il renie enfin sa malice ! »
Dahud ricane sous les flots :
« Ahès, est ma libératrice,
La gardienne de ces enclos ! »
1 – Le roi Gradlon
Gradlon le grand, de Cornouaille
Était un sage souverain ;
Tous craignaient sa poigne d’airain
Quand il partait à la bataille !
L’ennemi vaincu, crie, et braille
« Nous sommes perdus ! Suzerain,
Pardonne-nous ! » Mais lui, serein,
Fait ses vassaux de la canaille !
Oncques ce roi ne trébucha,
Toujours agile, comme un chat,
Dans les guerres, la politique …
Sa sagesse fut abolie,
Il a chu – Passion épique –
Aimant sa fille à la folie !
2 - Dahud
Aimant sa fille à la folie,
Il lui fit un présent divin,
Car « “ Moins ” », disait-il, « serait vain !
Elle est si belle et si jolie,
Et si noble ; “ moins ” l’humilie ! »
Il lui donna donc, pour ses vingt
Ans, cette ville ; l’écrivain
Osant la chanter, la spolie,
Car même le superlatif
Tressaille, puis devient poncif …
Je n’ose la glossolalie …
Non, tout mot prend peur et se tait !
Pour toujours, sa raison partait …
L’amour excessif, toujours, lie !
3 – Les racines du drame
L’amour excessif, toujours lie,
Gradlon fut pris de cécité …
Dahud régnait sur la cité
En païenne, comme Athalie
Que fustigeait le grand Elie ;
Et Gwénolé, cet exalté,
En rageait, par l’ire emporté !
Le calice, jusqu’à la lie
Entre les deux fut bientôt bu ;
Tôt, la princesse et le barbu
Par le mot se désentripaillent …
Quelle âpreté dans ce conflit !
Ainsi, le drame fait son lit,
Quel sort funeste ! Et l’on crie « Aïe ! »
4 – Conflit de grands
Quel sort funeste ! Et l’on crie « Aïe,
Comment cela va-t-il finir ?
Maudire est plus fort que bénir ? »
Non, ce n’est plus de la rouscaille :
Chacun d’eux, tel de la racaille
Incapable, sauf de haïr,
Le cœur fermé, n’a qu’un désir :
Que son rival crève ou défaille !
Le dénouement sera sanglant ;
En otage, le cœur tremblant,
Le bon peuple, vile piétaille,
Quand les grands luttent, ombrageux,
N’en comprend guère les enjeux …
Quel malheur ! Chaque cœur tressaille !
5 - Ordalie
Quel malheur ! Chaque cœur tressaille !
L’Évêque et Dahud divaguant,
En naîtra-t-il un ouragan ?
Hélas ! Voici que chaque ouaille
De leur combat, devient cobaye !
Et, vraiment, c’est inélégant :
Ahès, Christ, brigande et brigand,
Sont enrôlés ! Chacun ferraille !
Et sur la ville, et sur ses ports,
Ils s’affrontent à coup de sorts ;
L’un deux, avec les flots s’allie
L’autre, avec la terre et les vents …
Chanceux seront les survivants !
Dieux ! Quelle cruelle ordalie !
6 - Submersion
Dieux ! Quelle cruelle ordalie !
Que gagner à cet examen ?
Ce n’est un dieu contre l’humain,
Qui le délivre ou l’exfolie ;
Deux astres en périhélie
Trop proches : Leur effet commun,
Annihiler tout lendemain ;
Et l’espérance est abolie !
Voici, l’apocalypse est là ;
Portail ouvert vers l’au-delà
Et c’est en vain que l’on supplie !
La vague vient de nulle part ;
Vois Gradlon qui pleure, hagard,
Ys, sous les flots, ensevelie !
7 – À la baille !
Ys, sous les flots, ensevelie ;
Aucun humain ne la voit plus,
Même par les plus grands reflux,
Mais nul, cependant, ne l’oublie …
Maint barde ou poète publie
Son souvenir, et quand je l’eus
Lu, je fus de douleur perclus !
Ces vers : une image pâlie
Du coup que je pris droit au cœur
Quand j’entendis, pour ma stupeur,
Cette histoire, qui me tenaille
Et m’obsède toujours la nuit,
Depuis lors, et jusqu’aujourd’hui …
Voilà, son peuple est à la baille !
8 – Récits
Voilà, son peuple est à la baille ;
Au long des siècles le récit
De ces jours, s’entend par ici ;
Et même si la voix criaille
D’émotion, vaille que vaille,
Il est bon qu’il en soit ainsi !
Comme il faudrait être ranci
Pour ricaner, avec gouaille !
Ce jour, commença le déclin,
Du pays ; il est orphelin
À jamais de sa capitale …
Mais, profitant de la terreur,
Qui jongle avec, comme une balle ?
« Châtiment ! », prêche le recteur !
9 – Châtiment
« Châtiment ! », prêche le recteur ;
« Dahud était une sorcière
Le cœur arrogant, l’âme fière,
Qui défiait avec aigreur
Jésus, le Christ, notre sauveur !
Elle repoussait la lumière,
Crachait sur l’évangéliaire ;
Et de plus, comble de l’horreur,
Elle tuait, en sacrifice,
Ses amants ; odieux supplice !
Qui donc ouït telle noirceur ?
Que celui dont la faute est ample,
Médite son sort, le contemple !
Un exemple pour le pécheur ! »
10 – Prêche
« Un exemple pour le pécheur,
Que cette immonde tragédie ;
S’il voit comment la perfidie
Est punie, il peut prendre peur
Et, par un sursaut salvateur
Quitter sa conduite étourdie ;
Il entendra la mélodie
Des archanges, quelle splendeur !
Ici-bas, que perdra-t-il ? Rien !
Il trime comme un galérien,
De maléfice en maléfice ;
Pour s’extraire de ce taudis
Et pour goûter au paradis,
Qu’il renie enfin sa malice ! »
11 – Calice
« Qu’il renie enfin sa malice,
Et que les pleurs lavent ses yeux
Tandis qu’il renonce aux faux dieux !
Vite ! Car sinon, la milice
De l’enfer, prépare un supplice
Comme celui dont les aïeux
Qui vivaient en Ys, orgueilleux
Ont bu le douloureux calice ! »
Pour qui se prend-il, l’arrogant ?
Je voudrais lui jeter le gant
Pour médire ainsi de ma reine !
Ahès ! Que son bec reste clos !
Mais elle est stérile, sa haine,
Dahud ricane, sous les flots !
12 – Sirènes
Dahud ricane, sous les flots
Car tous ses gens furent sauvés,
Ainsi qu’elle, vous le savez,
Dans le pays des cachalots !
Ils ne craignent plus les complots ;
Tritons, sirènes, préservés
À jamais de tous les Yahvés
Usurpateurs, ces mégalos !
Ils chantent toujours la louange
De celle qui, mieux qu’aucun ange
Les garda, les mit à l’abri ;
La princesse conduit l’office
En clamant, comme il est prescrit :
« Ahès est ma libératrice ! »
13 – Office de louange
« Ahès est ma libératrice
Et chaque jour, je la louerai,
La bénirai, la chanterai !
Que tout le peuple, de l’abysse
Sauvé, chante avec moi, qu’il bisse
Et trisse, à jamais sans arrêt
Ce tout nouvel hymne secret
Que m’enseigna ma bienfaitrice !
Oui, pour les âges infinis
Nous chanterons ces jours bénis ;
Nous avons vu venir notre heure,
Bien amers étaient nos sanglots ;
Elle n’a point permis qu’on meure,
La gardienne de ces enclos ! »
14 – Sur les tours de la Cathédrale
La gardienne de ces enclos
Ne bénit pas que la princesse !
Elle n’eût, par suite, de cesse
– Pour bien se moquer des calots,
Ces robes noires, teints pâlots, –
De manœuvrer avec adresse
Pour que le Roi – n’est-ce prouesse ? –
Reçoive, du clergé, les los.
Sur les tours de la Cathédrale
De Quimper, vois sa face pâle
Qui domine, ironiquement,
L’évêque et toute sa prêtraille !
Pareille revanche ne ment,
Gradlon le grand, de Cornouaille !
Stellamaris